Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/283

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Le matin, il avait reçu la nouvelle : « Élu à une écrasante majorité » ; et après un plantureux déjeuner, où l’on avait fortement toussé au nouveau député de la Corse, il venait, avec quelques-uns de ses convives, se montrer, se voir aussi, jouir de toute sa gloire nouvelle.

La première personne qu’il aperçut en arrivant, ce fut Félicia Ruys, debout, appuyée au socle d’une statue, entourée de compliments et d’hommages auxquels il se hâta de venir mêler les siens. Elle était simplement mise, drapée dans un costume noir brodé et chamarré de jais, tempérant la sévérité de sa tenue par un scintillement de reflets et l’éclat d’un ravissant petit chapeau tout en plumes de lophophores, dont ses cheveux frisés fin sur le front, divisant la nuque en larges ondes, semblaient continuer et adoucir le chatoiement.

Une foule d’artistes, de gens du monde s’empressaient devant tant de génie allié à tant de beauté ; et Jenkins, la tête nue, tout bouffant d’effusions chaleureuses, s’en allait de l’un à l’autre, racolant les enthousiasmes, mais élargissant le cercle autour de cette jeune gloire dont il se faisait à la fois le gardien et le coryphée. Sa femme s’entretenait pendant ce temps avec la jeune fille. Pauvre madame Jenkins ! On lui avait dit de cette voix féroce qu’elle seule connaissait : « Il faut que vous alliez saluer Félicia… » Et elle y était allée, contenant son émotion ; car elle savait maintenant ce qui se cachait au fond de cette affection paternelle, quoiqu’elle évitât toute excitation avec le docteur, comme si elle en avait craint l’issue.

Après madame Jenkins, c’est le Nabab qui se précipite, et prenant entre ses grosses pattes les deux mains long et finement gantées de l’artiste, exprime