Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/333

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parler des décors, de la distribution ; et, comme en rentrant du théâtre il était trop tard pour frapper chez les voisins, l’heureux auteur a guetté le jour dans une impatience fiévreuse, puis dès qu’il a entendu marcher au-dessous, les persiennes s’ouvrir en claquant sur la façade il est descendu bien vite annoncer à ses amis la bonne nouvelle. À présent les voilà tous réunis, ces demoiselles en gentil déshabillé, les cheveux tordus à la hâte, et M. Joyeuse que l’événement a surpris en train de faire sa barbe, montrant sous son bonnet brodé une étonnante figure mi-partie, un côté rasé, l’autre non. Mais le plus ému, c’est André Maranne, car vous savez ce que la réception de Révolte représente pour lui, ce dont ils sont convenus avec Bonne-Maman. Le pauvre garçon la regarde comme pour chercher dans ses yeux un encouragement ; et les yeux un peu railleurs et bons ont l’air de dire : « Essayez toujours. Qu’est-ce qu’on risque ? » Il regarde aussi, pour se donner du courage, mademoiselle Élise telle comme une fleur, ses grands cils abaissés. Enfin prenant son parti :

« Monsieur Joyeuse, dit-il d’une voix étranglée, j’ai une communication très grave à vous faire. »

M. Joyeuse s’étonne :

« Une communication… Ah ! mon Dieu, vous m’effrayez… »

Et baissant la voix, lui aussi :

« Est-ce que ces demoiselles sont de trop ? »

Non. Bonne-Maman sait ce dont il s’agit. Mademoiselle Élise doit aussi s’en douter. Ce sont seulement les enfants… Mademoiselle Henriette et sa sœur sont priées de se retirer, ce qu’elles font aussitôt, l’une d’un air majestueux et vexé en vrai fille des Saint-Amand,