Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/355

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faiblesse indigne des forts, et, la refusant aux autres, il la redoutait pour lui-même, pour l’intégrité de son courage. Personne dans le palais, excepté Monpavon et Louis le valet de chambre, ne sut donc ce que venaient faire ces trois personnages introduits mystérieusement auprès du ministre d’État. La duchesse elle-même l’ignora. Séparée de son mari par tout ce que la haute vie politique et mondaine met de barrières entre époux dans ces ménages d’exception, elle le croyait légèrement souffrant, malade surtout d’imagination, et se doutait si peu d’une catastrophe qu’à l’heure même où les médecins montaient le grand escalier à demi obscur, à l’autre bout du palais, ses appartements intimes s’éclairaient pour une sauterie de demoiselles, un de ces bals blancs que l’ingéniosité du Paris oisif commençait à mettre à la mode.

Elle fut, cette consultation, ce qu’elles sont toutes : solennelle et sinistre. Les médecins n’ont plus leurs grandes perruques du temps de Molière, mais ils revêtent toujours la même gravité de prêtres d’Isis, d’astrologues, hérissés de formules cabalistiques avec des hochements de tête, auxquels il ne manque, pour l’effet comique, que le bonnet pointu d’autrefois. Ici la scène empruntait à son milieu un aspect imposant. Dans la vaste chambre, transformée, comme agrandie par l’immobilité du maître, ces graves figures s’avançaient autour du lit, où se concentrait la lumière éclairant dans la blancheur du linge et la pourpre des courtines une tête ravinée, pâlie des lèvres aux yeux, mais enveloppée de sérénité comme d’un voile, comme d’un suaire. Les consultants parlaient bas, se jetaient un regard furtif, un mot barbare, demeuraient impassibles sans un froncement de sourcil. Mais cette