Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/361

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ils erraient pareils à des spectres dans le silence et la nuit de l’immense demeure, vivante seulement là-bas vers la droite où le plaisir chantait comme un oiseau sur un toit qui va s’effondrer.

« Il n’y a de feu nulle part… Que faire de tout cela ? » se demandaient-ils très embarrassés. On eût dit deux voleurs traînant une caisse qu’ils ne savent comment forcer. À la fin Monpavon, impatienté, marcha droit à une porte, la seule qu’ils n’eussent pas encore ouverte.

— Ma foi, tant pis !… Puisque nous ne pouvons pas les brûler, nous les noierons… Éclairez-moi, Jenkins. »

Et ils entrèrent.

Où étaient-ils ?… Saint-Simon racontant la débâcle d’une de ces existences souveraines, le désarroi des cérémonies, des dignités, des grandeurs causé par la mort et surtout par la mort subite, Saint-Simon seul aurait pu vous le dire… De ses mains délicates et soignées, le marquis de Monpavon pompait. L’autre lui passait les lettres déchirées, des paquets de lettres, satinées, nuancées, embaumées, parées de chiffres, d’armoiries, de banderoles à devises, couvertes d’critures fines, pressées, griffantes, enlaçantes, persuasives ; et toutes ces pages légères tournoyaient l’une sur l’autre dans des tourbillons d’eau qui les froissaient, les souillaient, délayaient leurs encres tendres avant de les laisser disparaître dans un hoquet d’égout tout au fond de la sentine immonde.

C’étaient des lettres d’amour et de toutes les sortes, depuis le billet de l’aventurière : « Je vous ai vu passer au bois hier, monsieur le duc… » jusqu’aux reproches aristocratiques de l’avant-dernière maîtresse, et les plaintes des abandonnées, et la page encore fraîche des récentes confidences. Monpavon connaissait tous ces