Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/370

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vais pour les masses, si un homme dans sa position… ps, ps, ps, … Ah ! c’est notre maître à tous… ps, ps… tenue irréprochable.

— Alors, c’est fini ? dit Jansoulet, atterré… Il n’y a plus d’espoir… »

Monpavon lui fit signe d’écouter. Une voiture roulait sourdement dans l’avenue du quai. Le timbre d’arrivée sonna précipitamment plusieurs coups de suite. Le marquis comptait à haute voix… « Un, deux, trois quatre… » Au cinquième, il se leva :

« Plus d’espoir maintenant. Voilà l’autre qui arrive » dit-il, faisant allusion à la superstition parisienne qui voulait que cette visite du souverain fût toujours fatale aux moribonds. De partout les laquais se hâtaient ouvraient les portes à deux battants, formaient la haie tandis que le suisse, le chapeau en bataille, annonçait du retentissement de sa pique sur les dalles le passage de deux ombres augustes, que Jansoulet ne fit qu’entrevoir confusément derrière la livrée, mais qu’il aperçut dans une longue perspective de portes ouvertes, gravissant le grand escalier, précédées d’un valet portant un candélabre. La femme montait droite et fière, enveloppée de ses noires mantilles d’Espagnole ; l’homme se tenait à la rampe, plus lent et fatigué, le collet de son pardessus clair remontant sur un dos un peu voûté qu’agitait un sanglot convulsif.

« Allons-nous-en, Nabab. Plus rien à faire ici », dit le vieux beau, prenant Jansoulet par le bras et l’entraînant dehors. Il s’arrêta sur le seuil, la main haute, fit un petit salut du bout des gants vers celui qui mourait là-haut. « Bojou, ché… » Le geste et l’accent étaient mondains, irréprochables ; mais la voix tremblait un peu.