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Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/399

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et les quartiers financiers où Hemerlingue avait sa vie et ses relations. La société levantine, assez nombreuse à Paris, composée en grande partie de juifs allemands, banquiers ou commissionnaires, qui, après avoir fait en Orient des fortunes colossales, trafiquent encore ici pour n’en pas perdre l’habitude, se montrait assidue aux jours de la baronne. Les Tunisiens de passage ne manquaient jamais de venir voir la femme du grand banquier en faveur, et le vieux colonel Brahim, le chargé d’affaires du bey, avec sa bouche flasque et ses yeux éraillés, faisait son somme tous les samedis au coin du même divan.

« Votre salon sent le roussi, ma petite fille », disait en riant la vieille princesse de Dions à la nouvelle Marie que maître Le Merquier et elle avaient tenue sur les fonts baptismaux ; mais la présence de ces nombreux hérétiques, juifs, musulmans et même renégats, de ces grosses femmes couperosées, fagotées, chargées d’or, de pendeloques, des « vrais paquets », n’empêchait pas le faubourg Saint-Germain de visiter, d’entourer, de surveiller la jeune catéchumène, le joujou de ces nobles dames, une poupée bien souple, bien docile que l’on montrait, que l’on promenait, dont on citait les naïvetés évangéliques, piquantes surtout par le contraste du passé. Peut-être se glissait-il au fond du cœur de ces aimables patronnesses l’espoir de rencontrer dans ce monde retour d’Orient quelque nouvelle conversion à faire, l’occasion de remplir encore l’aristocratique chapelle des Missions du spectacle si émouvant d’un de ces baptêmes d’adultes qui vous transportent aux premiers temps de la foi, là-bas, vers les rives du Jourdain, et sont bientôt suivis de la première communion, du renouvellement, de la confirmation, tous prétextes pour la