Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/404

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une âme, c’était bien dans celle de cette esclave faite aux concessions et aux bassesses, révoltée, mais patiente, et maîtresse elle-même comme toutes celles que l’habitude d’un voile abaissé sur les yeux a accoutumées à mentir sans danger ni scrupule.

En ce moment personne n’aurait pu se douter de l’angoisse qui l’agitait, à la voir agenouillée devant la princesse, vieille bonne femme sans façon, de qui la Fuernberg disait tout le temps : « Si c’est une princesse, ça ! »

« Oh ! je vous en prie, ma marraine, ne vous en allez pas encore. »

Elle l’enveloppait de toutes sortes de câlineries, de grâces, de petites mines, sans lui avouer, bien entendu, qu’elle tenait à la garder jusqu’à l’arrivée de Jansoulet pour la faire servir à son triomphe.

« C’est que, disait la bonne dame en montrant le majestueux Arménien, silencieux et grave, son chapeau à glands sur les genoux, j’ai à conduire ce pauvre monseigneur au Grand Saint-Christophe pour acheter des médailles. Il ne s’en tirerait pas sans moi.

— Si, si, je veux… Il faut… Encore quelques minutes. »

Et la baronne jetait un regard furtif vers l’antique et somptueux cartel accroché dans un angle du salon.

Déjà cinq heures, et la grosse Afchin n’arrivait pas. Les Levantines commençaient à rire derrière leurs éventails. Heureusement on venait de servir du thé, des vins d’Espagne, une foule de pâtisseries turques délicieuses qu’on ne trouvait que là et dont les recettes rapportées par la cadine se conservent dans les harems comme certains secrets de confiserie raffinée dans nos couvents. Cela fit une diversion. Le gros Hemerlingue qui, le samedi, sortait de temps en temps de son bureau pour