Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/410

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la Levantine. On pouvait en parler devant elle comme de la mort devant les tout petits. Elle ne s’en émouvait pas ne sachant pas ce que c’était. Parfaitement entêtée d’ailleurs à rester au lit dans sa djebba ; car pour bien affirmer sa décision, elle alluma une nouvelle cigarette à celle qui venait de finir, et pendant que le pauvre Nabab entourait sa « petite femme chérie » d’excuses, de prières de supplications, lui promettant un diadème de perles cent fois plus beau que le sien si elle voulait venir, elle regardait monter au plafond peint la fumée assoupissante, s’en enveloppait comme d’un imperturbable calme. À la fin, devant ce refus, ce mutisme, ce front où il sentait la barre d’un entêtement obstiné, Jansoulet débrida sa colère, se redressa de toute sa hauteur :

« Allons, dit-il, je le veux… »

Il se tourna vers les négresses :

« Habillez votre maîtresse, tout de suite… »

Et le rustre qu’il était au fond, le fils du cloutier méridional se retrouvant dans cette crise qui le remuait tout entier, il rejeta les courtines d’un geste brutal et méprisant, envoyant à terre les innombrables fanfreloches qu’elles portaient, et forçant la Levantine demi-nue à bondir sur ses pieds avec une promptitude étonnante chez cette massive personne. Elle rugit sous l’outrage, serra les plis de sa dalmatique contre son buste de nabote, envoya son petit bonnet de travers dans ses cheveux écroulés, et se mit à invectiver son mari.

« Jamais, tu m’entends bien, jamais… tu m’y traînerais plutôt chez cette… »

L’ordure sortait à flots de ses lèvres lourdes, comme d’une bouche d’égout. Jansoulet pouvait se croire dans