Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/422

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et, regardant autour de lui les murs du cabinet, il ajouta d’un ton connaisseur : « Vous aussi, vous possédez quelques beaux morceaux…

— Oh ! fit l’autre modestement, à peine quelques toiles… C’est si cher aujourd’hui, la peinture… c’est un coût si onéreux à satisfaire, une vraie passion de luxe… Une passion de nabab », dit-il en souriant, avec un coup d’œil furtif pardessus ses lunettes.

C’étaient deux joueurs prudents face à face ; Jansoulet seulement un peu dérouté dans cette situation nouvelle, où il lui fallait se garer, lui qui ne savait que les coups d’audace.

« Quand je pense, murmura l’avocat, que j’ai mis dix ans à meubler ces murs, et qu’il me reste encore tout ce panneau à remplir… »

En effet, à l’endroit le plus apparent de la haute cloison s’étalait une place vide, évacuée plutôt, car un gros clou doré près du plafond montrait la trace visible, presque grossière, du piège tendu au pauvre naïf, qui s’y laissa prendre sottement.

« Mon cher monsieur Le Merquier, dit-il d’une voix engageante et bon enfant, j’ai justement une vierge du Tintoret à la mesure de votre panneau… »

Impossible de rien lire dans les yeux de l’avocat réfugiés cette fois sous leur abri miroitant.

« Permettez-moi de l’accrocher là, en face de votre table… Cela vous donnera l’occasion de penser quelquefois à moi…

— Et d’atténuer les sévérités de mon rapport, n’est-ce pas, monsieur ? s’écria Le Merquier, formidable et debout, la main sur la sonnette… J’ai vu bien des impudeurs dans ma vie, jamais rien de pareil à celle-là… Des offres semblables à moi, chez moi !…