Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/425

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monnaie dans sa poche, d’un geste qui en disait long sur les méfiances de la province.

Depuis que Jansoulet était député de la Corse, on avait tant vu débarquer chez lui de ces types exotiques et étranges, que les domestiques ne s’étonnèrent pas trop devant cette femme au teint brûlé, aux yeux charbonnés et ardents, ressemblant bien sous sa coiffe sévère à une vraie Corse, à quelque vieille vocératrice arrivée tout droit du maquis, mais se distinguant des insulaires fraîchement débarqués par l’aisance et la tranquillité de ses manières.

« Comme ça, le maître n’est pas là ?… » dit-elle avec une intonation qui s’adressait bien plus aux gens d’une ferme, d’un mas de son pays, qu’à la valetaille insolente d’une grande maison parisienne.

— Non… le maître n’est pas là.

— Et les enfants ?

— Ils prennent leur leçon… Vous ne pouvez pas les voir.

— Et madame ?

— Elle dort… On n’entre pas dans sa chambre avant trois heures. »

Cela parut l’étonner un peu, la brave femme, qu’on pût rester au lit si tard, mais le sûr instinct, qui à défaut d’éducation guide les natures distinguées, l’empêcha de rien dire devant les domestiques, et, tout de suite, elle demanda à parler à Paul de Géry.

« Il est en voyage…

— Bompain Jean-Baptiste, alors ?

— À la séance, avec monsieur… »

Son gros sourcil gris se fronça :

« C’est égal… montez ma malle tout de même. »

Et, avec un petit frisement d’œil malicieux, une fierté,