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Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/502

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grand serrement de cœur et dans la bouche ce goût de larmes que laisse un regret inavoué.

« Je le savais, reprit Jenkins d’une voix sourde… J’ai là les lettres que vous lui écriviez…

— Mes lettres ?

— Oh ! je vous les rends, tenez. Je les sais par cœur, à force de les lire et de les relire… C’est ça qui fait mal, quand on aime… Mais j’ai bien subi d’autres tortures. Quand je pense que c’est moi… » Il s’arrêta. Il étouffait… « Moi qui devais fournir le combustible à vos flammes, réchauffer cet amant de glace, vous l’envoyer ardent et rajeuni… Ah ! il en a dévoré des perles, celui-là… J’avais beau dire non, il en voulait toujours… À la fin la fureur m’a pris… Tu veux brûler, misérable. Eh bien ! brûle !   *  *   *   *   *   *  *   *   *   *   

Paul se leva épouvanté. Allait-il donc devenir le confident d’un crime ?

Mais la honte ne lui fut pas infligée d’en entendre davantage.

Un coup violent, frappé chez lui cette fois, vint l’avertir que le calesino était prêt.

« Eh ! signor Francese… »

Dans la pièce à côté le silence se fit, puis un chuchotement… Il y avait quelqu’un, là, tout près d’eux… qui les écoutait… Paul de Géry descendit précipitamment. Il lui tardait d’être hors de cette chambre d’hôtel, d’échapper à l’obsession de tant d’infamies dévoilées.

Comme la chaise de poste s’ébranlait, entre ces rideaux blancs communs qui flottent à toutes les fenêtres dans le Midi, il aperçut une figure pâlie avec des cheveux de déesse et de grands yeux brûlants qui