Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/134

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Ici les clefs grincèrent férocement et le sous-préfet, souriant toujours, ajouta :

— Tout le monde n’est pas poète au collège de Sarlande.

À ces mots, une idée fugitive me traversa l’esprit : je voulus voir de près ces papiers. Je m’élançai ; le principal eut peur d’un scandale et fit un geste pour me retenir. Mais le sous-préfet me tendit le dossier tranquillement.

— Regardez ! me dit-il.

Miséricorde ! ma correspondance avec Cécilia.

… Elles y étaient toutes, toutes ! Depuis celle qui commençait : « Ô Cécilia, quelquefois sur un rocher sauvage… » jusqu’au cantique d’actions de grâces : « Ange qui as consenti à passer une nuit sur la terre… » Et dire que toutes ces belles fleurs de rhétorique amoureuse ; je les avais effeuillées sous les pas d’une femme de chambre !… dire que cette personne, d’une situation tellement élevée, tellement, etc., décrottait tous les matins les socques de la sous-préfète !… On peut se figurer ma rage, ma confusion.

— Eh bien, qu’en dites-vous, seigneur don Juan ? ricana le sous-préfet, après un moment de silence. Est-ce que ces lettres sont de vous, oui ou non ?

Au lieu de répondre, je baissai la tête. Un mot pouvait me disculper ; mais ce mot, je ne le prononçai pas. J’étais prêt à tout souffrir plutôt que de dénoncer Roger… Car remarquez bien qu’au milieu de cette catastrophe, le petit Chose n’avait