Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/142

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blanches qui ressemblaient à des huttes d’esquimaux. Cela était d’un triste à faire pleurer.

Le tapage venait de la salle du rez-de-chaussée, et la ripaille devait chauffer à ce moment, car, malgré le froid, on avait ouvert toutes grandes les deux fenêtres.

Je posais déjà le pied sur la première marche du perron, lorsque j’entendis quelque chose qui m’arrêta net et me glaça : c’était mon nom prononcé au milieu de grands éclats de rires. Roger parlait de moi, et, chose singulière, chaque fois que le nom de Daniel Eyssette revenait, les autres riaient à se tordre.

Poussé par une curiosité douloureuse, sentant bien que j’allais apprendre quelque chose d’extraordinaire, je me rejetai en arrière et, sans être entendu de personne, grâce à la neige qui assourdissait comme un tapis le bruit de mes pas, je me glissai dans une des tonnelles, qui se trouvait fort à propos juste au-dessous des fenêtres.

Je la reverrai toute ma vie, cette tonnelle ; je reverrai toute ma vie la verdure morte qui la tapissait, son sol boueux et sale, sa petite table peinte en vert et ses bancs de bois tout ruisselants d’eau… À travers la neige dont elle était chargée, le jour passait à peine ; la neige fondait lentement et tombait sur ma tête goutte à goutte.

C’est là, c’est dans cette tonnelle noire et froide comme un tombeau, que j’ai appris combien les hommes peuvent être méchants et lâches ; c’est là que j’ai appris à douter, à mépriser, à haïr… Ô