Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/241

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ou bien encore : « J’ai deux points de trop à ma pantoufle. » Alors de dépit je fermais le livre et je ne voulais pas aller plus loin ; mais les yeux noirs avaient une certaine façon de me regarder qui m’apaisait tout de suite, et je continuais.

Il y avait sans doute une grande imprudence à nous laisser ainsi toujours seuls dans ce petit salon jonquille. Songez qu’à nous deux — les yeux noirs et Désir de plaire — nous ne faisions pas trente-quatre ans… Heureusement que mademoiselle Pierrotte ne nous quittait jamais, et c’était une surveillance très sage, très avisée, très éveillée, comme il en faut à la garde des poudrières… Un jour, — je me souviens, — nous étions assis, les yeux noirs et moi, sur un canapé du salon, par un tiède après-midi du mois de mai, la fenêtre entrouverte, les grands rideaux baissés et tombant jusqu’à terre. On lisait Faust, ce jour-là !… La lecture finie, le livre me glissa des mains ; nous restâmes un moment l’un contre l’autre, sans parler, dans le silence et le demi-jour… Elle avait sa tête appuyée sur mon épaule. Par la guimpe entrebâillée, je voyais de petites médailles d’argent qui reluisaient au fond de la gorgerette… Subitement, mademoiselle Pierrotte parut au milieu de nous. Il faut voir comme elle me renvoya vite à l’autre bout du canapé, — et quel grand sermon ! — « Ce que vous faites là est très mal, chers enfants, nous dit-elle… Vous abusez de la confiance qu’on vous montre… Il faut parler au père de vos projets… Voyons ! Daniel, quand lui parlerez--