la conversation sur le grand Baghavat, et je commençai par dire beaucoup de mal des lotus, des condors, des éléphants et des buffles. — C’était de l’audace, les éléphants sont si rancuniers !… — Pendant que je parlais, le penseur se versait de l’eau-de-vie sans rien dire. De temps en temps, il souriait et remuait approbativement la tête en faisant : « Oua… oua… » Enhardi par ce premier succès, je lui avouai que moi aussi j’avais composé un grand poème et que je désirais le lui soumettre. « Oua… oua… » fit encore le penseur sans sourciller. En voyant mon homme si bien disposé, je me dis : « C’est le moment ! » et je tirai mon poëme de ma poche. Le penseur, sans s’émouvoir, se versa un cinquième petit verre, me regarda tranquillement dérouler mon manuscrit mais, au moment suprême il posa sa main de vieil ivrogne sur ma manche : « Un mot, jeune homme, avant de commencer… Quel est votre criterium ? »
Je le regardais avec inquiétude.
— Votre criterium !… fit le terrible penseur en haussant la voix. Quel est votre criterium ?
Hélas ! Mon criterium !… je n’en avais pas, je n’avais jamais songé à en avoir un ; et cela se voyais du reste, à mon œil étonné, à ma rougeur, à ma confusion.
Le penseur se leva indigné : « Comment ! malheureux jeune homme, vous n’avez pas de criterium !… Inutile alors de me lire votre poème… je sais d’avance ce qu’il vaut. » Là-dessus, il se versa coup sur coup deux ou trois petits verres qui res-