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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/263

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tout. » Et plus bas, mes chers yeux noirs avaient signé : « Je vous aime. »

Je fus un peu troublé, je l’avoue, par cette grosse nouvelle. Depuis deux jours, je courais les éditeurs avec mon manuscrit, et je m’occupais beaucoup moins des yeux noirs que de mon poëme. Puis l’idée d’une explication avec ce gros Cévenol de Pierrotte ne me souriait guère… Aussi, malgré le pressant appel des yeux noirs, je restai quelque temps sans retourner là-bas, me disant à moi-même pour me rassurer sur mes intentions : « Quand j’aurai vendu mon poëme. » Malheureusement je ne le vendis pas.

En ce temps-là, je ne sais pas si c’est encore la même chose aujourd’hui, MM. les éditeurs étaient des gens très doux, très polis, très généreux, très accueillants ; mais ils avaient un défaut capital : on ne les trouvait jamais chez eux. Comme certaines étoiles trop menues qui ne se révèlent qu’aux grosses lunettes de l’Observatoire, ces messieurs n’étaient pas visibles pour la foule. N’importe l’heure où vous arriviez, on vous disait toujours de revernir…

Dieu ! que j’en ai couru de ces boutiques ! que j’en ai tourné de ces boutons de portes vitrées ! que j’en ai fait de ces stations aux devantures des librairies, à me dire, le cœur battant : Entrerai-je ? n’entrerai-je pas ? À l’intérieur, il faisait chaud. Cela sentait le livre neuf. C’était plein de petits hommes chauves, très affairés, qui vous répondaient de derrière un comptoir, du haut d’une