Aller au contenu

Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sions : « En somme, c’est très amusant la manécanterie. » Par malheur, nous n’y restâmes pas longtemps. Un ami de la famille, recteur d’université dans le Midi, écrivit un jour à mon père que s’il voulait une bourse d’externe au collège de Lyon pour un de ses fils, on pourrait lui en avoir une.

— Ce sera pour Daniel, dit M. Eyssette.

— Et Jacques ? dit ma mère.

— Oh ! Jacques ! Je le garde avec moi ; il me sera très utile. D’ailleurs, je m’aperçois qu’il a du goût pour le commerce. Nous en ferons un négociant.

De bonne foi, je ne sais comment M. Eyssette avait pu s’apercevoir que Jacques avait du goût pour le commerce. En ce temps-là, le pauvre garçon n’avait du goût que pour les larmes, et si on l’avait consulté… Mais on ne le consulta pas, ni moi non plus.

Ce qui me frappa d’abord, à mon arrivée au collège, c’est que j’étais le seul avec une blouse. À Lyon, les fils de riches ne portent pas de blouses ; il n’y a que les enfants de la rue, les gones comme on dit. Moi, j’en avais une, une petite blouse, j’avais l’air d’un gone… Quand j’entrai dans la classe, les élèves ricanèrent. On disait : « Tiens ! il a une blouse ! » Le professeur fit la grimace et tout de suite me prit en aversion. Depuis lors, quand il me parla, ce fut toujours du bout des lèvres, d’un air méprisant. Jamais il ne m’appela par mon nom ; il disait toujours « Hé ! vous, là-bas, le petit