Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

garçon, impatienté, envoya ce poème au diable et congédia la Muse (on disait encore la Muse en ce temps-là). Le jour même, ses sanglots le reprirent et les petits pots de colle reparurent devant le feu… Et le cahier rouge ?… Oh ! le cahier rouge, il avait sa destinée aussi, celui-là.

Jacques me dit : « Je te le donne, mets-y ce que tu voudras. » Savez-vous ce que j’y mis, moi ?… Mes poésies, parbleu ! les poésies du petit Chose. Jacques m’avait donné son mal.

Et maintenant, si le lecteur le veut bien, pendant que le petit Chose est en train de cueillir des rimes, nous allons d’une enjambée franchir quatre ou cinq années de sa vie. J’ai hâte d’arriver à un certain printemps de 18… dont la maison Eyssette n’a pas encore aujourd’hui perdu le souvenir ; on a comme cela des dates dans les familles !

Du reste, ce fragment de ma vie que je passe sous silence, le lecteur ne perdra rien à ne pas le connaître. C’est toujours la même chanson, des larmes et de la misère ! les affaires qui ne vont pas, des loyers en retard, des créanciers qui font des scènes, les diamants de la mère vendus, l’argenterie au mont-de-piété, les draps de lit qui ont des trous, les pantalons qui ont des pièces, des privations de toutes sortes, des humiliations de tous les jours, l’éternel « comment ferons-nous demain ? » le coup de sonnette insolent des huissiers, le concierge qui sourit quand on passe, et puis les emprunts, et puis les protêts, et puis… et puis…

Nous voilà donc en 18…