Page:Daudet - Lettres de mon moulin.djvu/109

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
LE PHARE DES SANGUINAIRES.

quelquefois même dans de terribles conditions.

— Voici ce qui m’est arrivé, à moi, monsieur, — me contait un jour le vieux Bartoli, pendant que nous dînions, — voici ce qui m’est arrivé il y a cinq ans, à cette même table où nous sommes, un soir d’hiver, comme maintenant. Ce soir-là, nous n’étions que deux dans le phare, moi et un camarade qu’on appelait Tchéco… Les autres étaient à terre, malades, en congé, je ne sais plus… Nous finissions de dîner, bien tranquilles… Tout à coup, voilà mon camarade qui s’arrête de manger, me regarde un moment avec de drôles d’yeux, et, pouf ! tombe sur la table, les bras en avant. Je vais à lui, je le secoue, je l’appelle :

« — Oh ! Tché !… Oh Tché !…

« Rien ! il était mort… Vous jugez quelle émotion ! Je restai plus d’une heure stupide et tremblant devant ce cadavre, puis, subitement cette idée me vient : « Et le phare ! » Je n’eus que le temps de monter dans la lanterne et d’allumer. La nuit était déjà là…