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L’AGONIE DE LA SÉMILLANTE.

Nardi jeta sur la braise deux ou trois morceaux de planches goudronnées qui s’enflammèrent, et Lionetti continua :

— Ce qu’il y a de plus triste dans cette histoire, le voici… Trois semaines avant le sinistre, une petite corvette, qui allait en Crimée comme la Sémillante, avait fait naufrage de la même façon, presque au même endroit ; seulement, cette fois-là, nous étions parvenus à sauver l’équipage et vingt soldats du train qui se trouvaient à bord… Ces pauvres tringlos n’étaient pas à leur affaire, vous pensez ! On les emmena à Bonifacio et nous les gardâmes pendant deux jours avec nous, à la marine… Une fois bien secs et remis sur pied bonsoir ! bonne chance ! ils retournèrent à Toulon, où, quelque temps après, on les embarqua de nouveau pour la Crimée… Devinez sur quel navire !… Sur la Sémillante, monsieur… Nous les avons retrouvés tous, tous les vingt, couchés parmi les morts, à la place où nous sommes… Je relevai moi-même un joli brigadier à fines moustaches,