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LETTRES DE MON MOULIN.

« Quand j’eus fait assez de faux pas clopin-clopant, je vis à ma main gauche une porte… non, un portail, un énorme portail, tout bâillant, comme la porte d’un grand four. Oh ! mes enfants, quel spectacle ! Là on ne demande pas mon nom ; là, point de registre. Par fournées et à pleine porte, on entre là, mes frères, comme le dimanche vous entrez au cabaret.

« Je suais à grosses gouttes, et pourtant j’étais transi, j’avais le frisson. Mes cheveux se dressaient. Je sentais le brûlé, la chair rôtie, quelque chose comme l’odeur qui se répand dans notre Cucugnan quand Éloy, le maréchal, brûle pour la ferrer la botte d’un vieil âne. Je perdais haleine dans cet air puant et embrasé ; j’entendais une clameur horrible, des gémissements, des hurlements et des jurements.

« — Eh bien ! entres-tu ou n’entres-tu pas, toi ? — me fait, en me piquant de sa fourche, un démon cornu.

« — Moi ? Je n’entre pas. Je suis un ami de Dieu.