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LETTRES DE MON MOULIN.

qu’un rival : le sergent du bureau arabe. Celui-ci — avec sa tunique de drap fin et ses guêtres à boutons de nacre — fait le désespoir et l’envie de toute la garnison. Détaché au bureau arabe, il est dispensé des corvées, et toujours se montre par les rues, ganté de blanc, frisé de frais, avec de grands registres sous le bras. On l’admire et on le redoute. C’est une autorité.

Décidément, cette histoire de chapelet volé menace d’être fort longue. Bonsoir ! je n’attends pas la fin.

En m’en allant je trouve l’antichambre en émoi. La foule se presse autour d’un indigène de haute taille, pâle, fier, drapé dans un beurnouss noir. Cet homme, il y a huit jours, s’est battu dans le Zaccar avec une panthère. La panthère est morte ; mais l’homme a eu la moitié du bras mangée. Soir et matin il vient se faire panser au bureau arabe, et chaque fois on l’arrête dans la cour pour lui entendre raconter son histoire. Il parle lentement, d’une belle voix gutturale. De temps en temps, il écarte son