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EN CAMARGUE.

bœufs de Camargue sont élevés pour courir dans les ferrades, les fêtes de villages ; et quelques-uns ont des noms déjà célèbres par tous les cirques de Provence et de Languedoc. C’est ainsi que la manado voisine compte entre autres un terrible combattant appelé le Romain, qui a décousu je ne sais combien d’hommes et de chevaux aux courses d’Arles, de Nîmes, de Tarascon. Aussi ses compagnons l’ont-ils pris pour chef ; car dans ces étranges troupeaux les bêtes se gouvernent elles-mêmes, groupées autour d’un vieux taureau qu’elles adoptent comme conducteur. Quand un ouragan tombe sur la Camargue, terrible dans cette grande plaine où rien ne le détourne, ne l’arrête, il faut voir la manado se serrer derrière son chef, toutes les têtes baissées tournant du côté du vent ces larges fronts où la force du bœuf se condense. Nos bergers provençaux appellent cette manœuvre : vira la bano au giscle — tourner la corne au vent. Et malheur aux troupeaux qui ne s’y conforment pas ! Aveuglée par la pluie,