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LETTRES DE MON MOULIN.

— C’est du blé !… Seigneur Dieu !… Du bon blé !… Laissez-moi, que je le regarde.

Puis, se tournant vers nous :

— Ah ! je savais bien que vous me reviendriez… Tous ces minotiers sont des voleurs.

Nous voulions l’emporter en triomphe au village :

— Non, non, mes enfants ; il faut avant tout que j’aille donner à manger à mon moulin… Pensez donc ! il y a si longtemps qu’il ne s’est rien mis sous la dent !

Et nous avions tous des larmes dans les yeux de voir le pauvre vieux se démener de droite et de gauche, éventrant les sacs, surveillant la meule, tandis que le grain s’écrasait et que la fine poussière de froment s’envolait au plafond.

C’est une justice à nous rendre : à partir de ce jour-là, jamais nous ne laissâmes le vieux meunier manquer d’ouvrage. Puis, un matin, maître Cornille mourut, et les ailes de notre dernier moulin cessèrent de virer, pour toujours cette fois… Cornille