Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/149

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dans ce palais de puissant, cette amertume, profondément humaine, où l’ambition n’était pour rien, avait quelque chose de plus cuisant. Mais, avec sa mobilité d’impressions, il se consola vite, en songeant à la gloire, à son talent, à sa haute situation. Est-ce que cela ne valait pas la beauté, la jeunesse, pour se faire aimer ?

— Allons donc !…

Il se trouva très bête, chassa son chagrin d’un coup d’épaule, et monta congédier le Conseil, car il ne lui restait plus le temps de le présider.

— Qu’est-ce que vous avez donc aujourd’hui, mon cher ministre ?… vous paraissez tout rajeuni.

Plus de dix fois dans la journée, on adressa ce compliment à sa bonne humeur très remarquée dans les couloirs de la Chambre, où il se surprenait fredonnant : Ô Magali, ma bien-aimée. Assis au banc des ministres, il écoutait, avec une attention très flatteuse pour l’orateur, un interminable discours sur le tarif douanier, souriait béatement, les paupières rabattues. Et les Gauches, qu’effrayait sa réputation d’astuce, se disaient toutes frémissantes : « Tenons-nous bien… Roumestan prépare quelque chose. » Simplement la silhouette de la petite Bachellery que son imagination s’amusait à évoquer dans le vide du discours bourdonnant, à faire trotter devant le banc ministériel, détaillant toutes ses attractions, ses cheveux coupant le front d’une blonde effilochure, son teint d’aubépine rose, son allure fringante de fillette déjà femme.

Pourtant, vers le soir, il eut encore un