Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/16

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soir, les cafés, bourrés de monde, restent ouverts bien avant dans la nuit, et les vitres du Cercle des Blancs, éclairées à des heures indues, s’ébranlent sous les éclats de la voix du Dieu.

Pas prophète en son pays ! Il n’y avait qu’à voir les arènes en ce bleu dimanche de juillet 1875, l’indifférence du public pour ce qui se passait dans le cirque, toutes les figures tournées du même côté, ce feu croisé de tous les regards sur le même point, l’estrade municipale, où Roumestan était assis au milieu des habits chamarrés et des soies tendues, multicolores, des ombrelles de cérémonie. Il n’y avait qu’à entendre les propos, les cris d’extase, les naïves réflexions à haute voix de ce bon populaire d’Aps, les unes en provençal, les autres dans un français barbare, frotté d’ail, toutes avec cet accent implacable comme le soleil de là-bas, qui découpe et met en valeur chaque syllabe, ne fait pas grâce d’un point sur un i.

Diou ! qu’es bèou !… Dieu ! qu’il est beau !…

— Il a pris un peu de corps depuis l’an passé.

— Il a plus l’air imposant comme ça.

— Ne poussez pas tant… Il y en a pour tout le monde.

— Tu le vois, petit, notre Numa… Quand tu seras grand, tu pourras dire que tu l’as vu, qué !

— Toujours son nez Bourbon… Et pas une dent qui lui manque.

— Et pas de cheveux blancs non plus…

, pardi !… Il n’est pas déjà si vieux… Il est de 32, l’année que Louis-Philippe tomba les croix de la mission, pecaïré.