Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/198

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déployés, de mauvaises plumes oxydées grinçant sur le papier, un recueillement d’église, baigné, rafraîchi par le grand jet d’eau minérale installé au milieu de la salle et dont l’élan se brise contre un disque métallique, s’émiette, s’éparpille en jaillissements, se pulvérise au-dessus de larges vasques superposées et ruisselantes. C’est la salle d’inhalation.

Je te dirai, ma chérie, que tout le monde n’inhale pas de la même façon. Ainsi le vieux monsieur que j’ai en face de moi en ce moment suit à la lettre les prescriptions du médecin, je les reconnais toutes. Les pieds sur un tabouret, la poitrine en avant, effaçons les coudes, et la bouche toujours ouverte pour faciliter l’aspiration. Pauvre cher homme ! comme il aspire, avec quelle confiance, quels petits yeux ronds, dévots et crédules qui semblent dire à la source :

« Ô source d’Arvillard, guéris-moi bien, vois comme je t’aspire, comme j’ai foi en toi… »

Puis nous avons le sceptique qui inhale sans inhaler, le dos tourné, en haussant les épaules et considérant le plafond. Puis les découragés, les vrais malades qui sentent l’inutilité et le néant de tout ça ; une pauvre dame, ma voisine, que je vois après chaque quinte porter vivement son doigt à la bouche, regarder si le gant ne s’est pas piqué au bout d’un point rouge. Et l’on trouve quand même le moyen d’être gai.

Des dames du même hôtel rapprochent leurs chaises, se groupent, brodent, potinent tout bas, commentent le Journal des Baigneurs et la liste des