Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/213

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pour bien inventer, développer selon les règles de M. Baudouy, il ne me faut pas de larges horizons. Quand c’est trop grand, je me perds, je m’éparpille, va te promener. Le seul ennui de mon banc, c’est le voisinage d’une balançoire, où cette petite Bachellery passe la moitié de ses journées à se faire lancer dans l’espace par le jeune homme au ressort. Je pense qu’il en a du ressort pour la pousser ainsi pendant des heures. Et ce sont des cris de bébé, des roulades envolées « Plus haut ! encore !… » Dieu ! que cette fille m’agace, je voudrais que la balançoire l’envoyât dans la nue et qu’elle n’en redescendît jamais.

On est si bien, si loin, sur mon banc, quand elle n’est pas là. J’y ai savouré ta lettre, dont le post-scriptum m’a fait pousser un cri de joie.

Oh ! que béni soit Chambéry et son lycée neuf, et cette première pierre à poser, qui amène dans nos régions le ministre de l’Instruction publique. Il sera très bien ici pour préparer son discours, soit en se promenant dans l’allée de la réaction, – allons, bon, un calembour maintenant, – ou sous mes noisetiers quand mademoiselle Bachellery ne les effarouche pas. Mon cher Numa ! Je m’entends si bien avec lui, si vivant, si gai. Comme nous allons causer ensemble de notre Rosalie et du sérieux motif qui l’empêche de voyager en ce moment… Ah ! mon Dieu, c’est un secret… Et maman qui m’a tant fait jurer… c’est elle qui est contente aussi de recevoir le cher Numa. Du coup, elle en perd toute timidité, toute modestie, et vous avait une majesté en entrant dans le bureau de l’hôtel pour retenir