Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/22

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cavalcade de Franconi. Du reste, à part quelques gens de campagne, personne ne regardait. On n’avait d’yeux que pour l’estrade municipale, envahie depuis un moment par une foule de personnes venant saluer Numa, des amis, des clients, d’anciens camarades de collège, fiers de leurs relations avec le grand homme et de les montrer là sur ces tréteaux, bien en vue.

Le flot succédait sans interruption. Il y en avait des vieux, des jeunes, des gentilshommes de campagne en complet gris de la guêtre au petit chapeau, des chefs d’ateliers endimanchés dans leurs redingotes marquées de plis, des ménagers, des fermiers de la banlieue d’Aps en vestes rondes, un pilote du Port Saint-Louis, tortillant son gros bonnet de forçat, tous avec leur Midi marqué sur la figure, qu’ils fussent envahis jusque dans les yeux de ces barbes en palissandre que la pâleur des teints orientaux fait plus noires encore, ou bien rasés à l’ancienne France, le cou court, rougeauds et suintant comme des alcarazas en terre cuite, tous l’œil noir, flambant, hors de la tête, le geste familier et tutoyeur.

Et comme Roumestan les accueillait, sans distinction de fortune ou d’origine, avec la même effusion inépuisable ! « Té ! Monsieur d’Espalion ! et comment va, marquis ?… »

« Hé bé ! mon vieux Cabantous, et le pilotage ?… »

« Je salue de tout cœur M. le président Bédarride. »

Alors les poignées de main, des accolades, de ces bonnes tapes sur l’épaule qui doublent la valeur des mots, toujours trop froids au gré d’une sympathie méridionale. L’entretien ne durait pas