Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/24

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— Mais, mon bon Numa, lui disait Hortense tout bas avec un joli rire, où prendrez-vous tous les bureaux de tabac que vous leur promettez ?

Roumestan penchait sa grosse tête crépue, un peu dégarnie dans le haut : « C’est promis, petite sœur, ce n’est pas donné. »

Et devinant un reproche dans le silence de sa femme : « N’oubliez pas que nous sommes dans le Midi, entre compatriotes parlant la même langue… Tous ces braves garçons savent ce que vaut une promesse et n’espèrent pas leur bureau de tabac plus positivement que moi je ne compte de leur donner… Seulement ils en parlent, ça les amuse, leur imagination voyage. Pourquoi les priver de cette joie ?… Du reste, voyez-vous, entre Méridionaux les paroles n’ont jamais qu’un sens relatif… C’est une affaire de mise au point. »

Comme la phrase lui plaisait, il répéta deux ou trois fois en appuyant sur la finale : « De mise au point… de mise au point… »

« J’aime ces gens-là…, » dit Hortense qui décidément s’amusait beaucoup. Mais Rosalie n’était pas convaincue. « Pourtant les mots signifient quelque chose, murmura-t-elle très sérieuse comme se parlant au plus profond d’elle-même.

— Ma chère, ça dépend des latitudes !

Et Roumestan assura son paradoxe d’un coup d’épaule qui lui était familier, l’ « en avant » d’un porte-balle remontant sa bricole. Le grand orateur de la droite gardait comme cela quelques habitudes de corps dont il n’avait jamais pu se défaire et qui dans