Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/272

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horribles masques à lèvres saignantes, dans la grimace de deux clowns se disloquant en maillot, une cloche dans chaque main, carillonnant un air de Martha parmi leurs gambades ; vraie musique de gnome, informe et bègue, bien à sa place dans le babélisme harmonique du skating. Puis la toile tombait de nouveau, et la paysanne dix fois levée et, rassise, s’agitant, ajustant sa coiffe, s’exclamait tout à coup en suivant le programme … « Le mont de Cordoue… les cigales… Farandole… ça commence… vé, vé !… »

Le rideau remontant encore une fois, laissait voir sur la toile de fond une colline lilas, où des maçonneries blanches de construction bizarre, moitié château, moitié mosquée, montaient en minarets, en terrasses, se découpaient en ogives, créneaux et moucharabiehs, avec des aloès, des palmiers de zinc au pied des tours immobiles sous l’indigo d’un ciel très cru. Dans la banlieue parisienne, parmi les villas du commerce enrichi, on voit de ces architectures bouffonnes. Malgré tout, malgré les tons criards des pentes fleuries de thym et des plantes exotiques égarées là pour le mont de Cordoue, Hortense éprouvait une émotion gênée devant ce paysage d’où se levaient ses plus riants souvenirs ; et cette casbah d’Osmanli sur ce mont de porphyre rose, ce château reconstruit lui semblait la réalisation de son rêve, mais grotesque et chargée, comme quand le rêve est près de tomber dans l’oppression du cauchemar. Au signal de l’orchestre et d’un jet électrique, de longues libellules, figurées par des filles déshabillées dans la