Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/28

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Valmajour, voilà l’oiso du bon Dieu que son gosier lui suffit pour toutes les roulades, et ce qu’il fait avec un trou, toi, les trois trous de ton flûtet ne le sauraient point faire ? »

Il parlait posément, d’un beau timbre confiant et doux, sans aucun sentiment de ridicule. D’ailleurs personne n’eût osé sourire devant l’enthousiasme de Numa, levant les bras, trépignant à défoncer la tribune. « Qu’il est beau !… Quel artiste !… » Et, après lui, le maire, le général, le président Bédarride, M. Roumavage, un grand fabricant de bière de Beaucaire, vice-consul du Pérou, sanglé dans un costume de carnaval tout en argent, d’autres encore, entraînés par l’autorité du leader, répétaient d’un accent convaincu : « Quel artiste ! » C’était aussi le sentiment d’Hortense, et elle l’exprimait avec sa nature expansive : « Oh ! oui, un grand artiste… » pendant que Mme Roumestan murmurait : « Mais vous allez le rendre fou, ce pauvre garçon ! » Il n’y paraissait guère cependant, à l’air tranquille de Valmajour, qui ne s’émut pas même en entendant Numa lui dire brusquement :

— Viens à Paris, garçon, ta fortune est faite.

— Oh ! ma sœur ne voudrait jamais me laisser aller, répondit-il en souriant.

Sa mère était morte. Il vivait avec son père et sa sœur dans un fermage qui portait leur nom, à trois lieues d’Aps, sur le mont de Cordoue. Roumestan jura d’aller le voir avant de partir. Il parlerait aux parents, il était sûr d’enlever l’affaire.

— Je vous y aiderai, Numa, dit une petite voix derrière lui.