Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/299

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sa pensée concentrée dans un point de couture qui lui mesurait les rêves et les heures. Que d’illusions alors, que de croyances ! Quel joyeux ramage dans les feuilles, sur sa tête ; en elle, quelle éveillée de sensations tendres et nouvelles ! En un jour la vie lui avait repris tout, brusquement. Et son désespoir lui rentrait au cœur, la trahison du mari, la perte de l’enfant, à mesure qu’elle développait sa layette.

La vue de la première petite parure, toute prête à passer, celle que l’on prépare sur le berceau au moment de la naissance, les manches l’une dans l’autre, les bras écartés, les bonnets gonflés dans leur rondeur, la faisait éclater en larmes. Il lui semblait que son enfant avait vécu, qu’elle l’avait embrassé et connu. Un garçon. Oh ! bien certainement, un garçon, et fort, et joli, et dans sa chair de lait déjà les yeux sérieux et profond du grand-père. Il aurait huit ans aujourd’hui, de longs cheveux bouclés tombant sur un grand col ; à cet âge-là, ils appartiennent encore à la mère qui les promène, les pare, les fait travailler ! Ah ! cruelle, cruelle vie…

Mais peu à peu, en tirant et maniant les menus objets noués de faveurs microscopiques, leurs broderies à fleurs, leurs dentelles neigeuses, elle s’apaisait. Eh bien, non, la vie n’est pas si méchante ; et tant qu’elle dure, il faut garder du courage.

Elle avait perdu tout le sien à ce tournant funeste, s’imaginant que c’était fini pour elle de croire d’aimer, d’être épouse et mère, qu’il ne lui restait qu’à regarder le lumineux passé s’en aller loin