Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/310

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Rosalie, il était comme un joueur qui a perdu son fétiche. Il avait peur, se sentait subitement inférieur à sa fortune et tout près d’en être écrasé. Les médiocres que la chance a favorisés ont de ces transes et de ces vertiges, accrus pour lui de l’effroyable scandale qui allait éclater, de ce procès en séparation que la jeune femme voulait absolument, malgré les lettres, les démarches, ses plates prières et ses serments. Pour la forme, on disait au ministère que madame Roumestan était allée vivre près de son père à cause du prochain départ de madame Le Quesnoy et d’Hortense ; mais personne ne s’y trompait, et sur tous ces visages défilant devant lui, à de certains sourires appuyés, à des poignées de mains trop vibrantes, le malheureux voyait son aventure reflétée en pitié, en curiosité, en ironie. Il n’y avait pas jusqu’aux infimes employés, venus à la réception en jaquette et redingote, qui ne fussent au courant ; il circulait dans les bureaux des couplets où Chambéry rimait avec Bachellery et que plus d’un expéditionnaire, mécontent de sa gratification, fredonnait intérieurement en faisant une humble révérence au chef suprême.

Deux heures. Et les corps constitués se présentaient toujours, et la neige s’amoncelait, pendant que l’homme à la chaîne introduisait pêle-mêle, sans ordre hiérarchique :

« Messieurs de l’École de Droit !…

« Messieurs du Conservatoire de Musique !…

« Messieurs les directeurs des théâtres subventionnés !… »

Cadaillac venait en tête, à l’ancienneté de ses