Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/314

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dirigeait vers le boulevard Poissonnière où l’ancien Tcherkesse, très sédentaire comme tous les gens d’imagination, demeurait depuis vingt ans, depuis son arrivée à Paris.

Personne ne connaissait l’intérieur de Bompard, dont il parlait pourtant beaucoup ainsi que de son jardin, de son mobilier artistique pour lequel il courait toutes les ventes de l’hôtel Drouot. « Venez donc un de ces matins manger une côtelette !… » C’était sa formule d’invitation, il la prodiguait, mais quiconque la prenait au sérieux ne trouvait jamais personne, se heurtait à des consignes de portier, des sonnettes bourrées de papier ou privées de leur cordon. Pendant toute une année, Lappara et Rochemaure s’acharnèrent inutilement à pénétrer chez Bompard, à dérouter les prodigieuses inventions du Provençal défendant le mystère de son logis, jusqu’à desceller un jour les briques de l’entrée, pour pouvoir dire aux invités, en travers de la barricade :

« Désolé, mes bons… Une fuite de gaz… Tout a sauté cette nuit. »

Après avoir monté des étages innombrables, erré dans de vastes couloirs, buté sur des marches invisibles, dérangé des sabbats de chambres de bonnes, Roumestan, essoufflé de cette ascension à laquelle ses illustres jambes d’homme arrivé n’étaient plus faites, se cogna dans un grand bassin d’ablutions pendu à la muraille.

— Qui vive ? grasseya un accent connu.

La porte tourna lentement, alourdie par le poids d’un porte-manteau où pendait toute la garde-robe d’hiver et d’été du locataire ; car la chambre était