Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/337

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entre les branches de mûriers et d’oliviers, les panaches de roseaux sauvages frôlant les portières. On chantait dans tous les wagons, on s’arrêtait à chaque instant pour laisser passer un troupeau, embarquer un retardataire, prendre un paquet qu’apportait en courant un garçon de mas. Et c’était des saluts, des causettes des gens du train avec les fermières en coiffes d’Arles, au pas de leur porte ou savonnant sur la pierre du puits. Aux stations, des cris, des bousculades, tout un village accouru pour faire la conduite à un conscrit ou à une fille qui va à la ville en condition.

— Té ! vé, sans adieu, mignote… sois bien bravette au moins !

On pleure, on s’embrasse, sans prendre garde à l’ermite mendiant en cagoule qui marmonne son « pater » appuyé à la barrière, et furieux de ne rien recevoir, s’éloigne en remontant sa besace :

— Encore un « pater » de fichu !

Le propos est entendu, et les larmes séchées, tout le monde rit, le frocard plus fort que les autres.

Blotti dans son coupé pour échapper aux ovations, Roumestan se délectait à toute cette belle humeur, à la vue de ces faces brunes, busquées, allumées de passion et d’ironie, de ces grands garçons aux airs farauds, de ces chato ambrées comme les grains allongés du muscat et qui deviendraient en vieillissant ces mères-grands, noires et desséchées par le soleil, secouant de la poussière de tombe à chacun de leurs gestes ratatinés. Et zou ! Et allons ! Et tous les en avant du monde ! Il retrouvait là