Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/357

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un Midi effervescent, mobile, tumultueux comme une mer aux flots multiples dont chacun le reflétait.

Il y eut un dernier vivat, puis on entendit la foule s’écouler lentement. Roumestan entra dans la chambre en s’épongeant le front, et grisé de son triomphe, chaud de cette inépuisable tendresse de tout un peuple, s’approcha de sa femme, l’embrassa avec une effusion sincère. Il se sentait bon pour elle, tendre comme au premier jour, sans remords comme sans rancune.

— Bé ?… Crois-tu qu’on le fête, monsieur ton fils !

À genoux devant le canapé, le grand homme d’Aps jouait avec son enfant, cherchait ces petits doigts qui s’accrochent à tout, ces petits pieds battant le vide. Rosalie le regardait, un pli au front, essayant de définir cette nature contradictoire, insaisissable. Puis vivement, comme si elle avait trouvé :

— Numa, quel est ce proverbe de chez vous que tante Portal disait l’autre jour ?… Joie de rue… Quoi donc ?…

— Ah ! oui… Gau de carriero, doulo d’oustau… Joie de rue, douleur de maison.

— C’est cela, dit-elle avec une expression profonde.

Et laissant tomber les mots un à un comme des pierres dans un abîme, elle répéta lentement, en y mettant la plainte de sa vie, ce proverbe où toute une race s’est peinte et formulée :

— Joie de rue, douleur de maison…

FIN