Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/36

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Un type, ce Malmus, gros homme asthmatique et blafard, qui, de simple garçon de café, était devenu propriétaire d’un des plus grands établissements de Paris, par le crédit et par l’usure. Jadis, il avançait aux étudiants l’argent de leur mois, qu’il se faisait rendre au triple, dès que les galions étaient arrivés. Lisant à peine, n’écrivant pas, marquant les sous qu’il prêtait avec des coches, dans du bois, comme il avait vu faire aux garçons boulangers de Lyon, ses compatriotes, jamais il ne s’embrouillait dans ses comptes, et, surtout, ne plaçait pas son argent mal à propos. Plus tard, devenu riche, à la tête de la maison où quinze ans durant il avait porté le tablier, il perfectionna son trafic, le mit tout entier dans le crédit, un crédit illimité qui laissait vides, à la fin de la journée, les trois comptoirs du café, mais alignait d’interminables colonnes de bocks, de cafés, de petits verres, sur les livres fantastiquement tenus, avec ces fameuses plumes à cinq becs, si en honneur dans le commerce parisien.

La combinaison du bonhomme était simple : il abandonnait à l’étudiant son argent de poche, toute sa pension, et lui faisait crédit des repas, des consommations, même, à quelques privilégiés, d’une chambre dans la maison. Pendant tout le temps des études, il ne demandait pas un sou, laissait accumuler les intérêts pour des sommes considérables ; mais cela ne se faisait pas étourdiment, sans surveillance. Malmus passait deux mois de l’année, les mois de vacances, à courir la province, s’assurant de la santé des parents, de la