Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/39

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gagna des convictions, un parti, le goût de la politique, des velléités de fortune et de gloire. C’est la gloire qui vient la première.

Quelques mois après sa sortie de chez le patron, ce titre de secrétaire de Sagnier, qu’il portait comme ces acteurs qui s’intitulent « de la Comédie-Française » pour y avoir figuré deux fois, lui valut de défendre un petit journal légitimiste, le Furet, très répandu dans le monde bien. Il le fit avec beaucoup de succès et de bonheur. Venu là sans préparation, les mains dans les poches, il parla pendant deux heures, avec une verve insolente et tant de belle humeur qu’il força les juges à l’écouter jusqu’au bout. Son accent, ce terrible grasseyement dont sa paresse l’avait toujours empêché de se défaire, donnait du mordant à son ironie.

C’était une force, le rythme de cette éloquence bien méridionale, théâtrale et familière, ayant surtout la lucidité, la lumière large qu’on trouve dans les œuvres des gens de là-bas comme dans leurs paysages limpides jusqu’au fond.

Naturellement le journal fut condamné, et paya en amendes et en prison le grand succès de l’avocat. Ainsi dans certaines pièces qui croulent, menant auteur et directeur à la ruine, un acteur se taille une réputation. Le vieux Sagnier, qui était venu l’entendre, l’embrassa en pleine audience. « Laissez-vous passer grand homme, mon cher Numa, » lui dit-il, un peu surpris d’avoir couvé cet œuf de gerfaut. Mais le plus étonné fut encore Roumestan, sortant de là comme d’un rêve, sa parole en écho dans ses oreilles bourdonnantes,