Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/52

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s’y débattait sans une plainte, tâchait de régler de son mieux ce désordre, emportée dans l’élan de son terrible grand homme qui l’agitait de toutes ses turbulences, et, de temps en temps, souriait à sa petite femme entre deux tonnerres. Elle ne regrettait qu’une chose, c’était de ne pas l’avoir assez à elle. Même au déjeuner, à ce déjeuner matinal des avocats talonné par l’heure de l’audience, il y avait toujours l’ami entre eux, ce compagnon dont l’homme du Midi ne pouvait se passer, l’éternel donneur de réplique nécessaire au jaillissement de ses idées, le bras où il s’appuyait complaisamment, auquel il confiait sa serviette trop lourde en allant au Palais.

Ah ! comme elle l’aurait accompagné volontiers au delà des ponts, comme elle aurait été heureuse, les jours de pluie, de venir l’attendre dans leur coupé et de rentrer tous deux, bien serrés, derrière la buée tremblante des vitres. Mais elle n’osait plus le lui demander, sûre qu’il y aurait toujours un prétexte, un rendez-vous donné, dans la salle des Pas-Perdus, à l’un des trois cents intimes dont le Méridional disait d’un air attendri :

« Il m’adore… Il se jetterait au feu pour moi… »

C’était sa façon de comprendre l’amitié. Du reste, aucun choix dans ses relations. Sa facile humeur, la vivacité de son caprice le jetaient à la tête du premier venu et le reprenaient aussi lestement. Tous les huit jours, une toquade nouvelle, un nom qui revenait dans toutes les phrases, que Rosalie inscrivait soigneusement, à chaque repas, sur la petite carte historiée du menu, puis qui disparaissait,