Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/63

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généreusement, elle l’avertit qu’il n’eût pas à y compter s’il renouvelait l’outrage. Plus jamais ! ou alors leurs deux vies séparées cruellement, radicalement, devant tous !… Ce fut signifié d’un ton, avec un regard où les fiertés de la femme prenaient leur revanche de toutes les convenances et entraves sociales.

Numa comprit, jura de ne plus recommencer, et sincèrement. Il frémissait encore d’avoir risqué son bonheur, ce repos auquel il tenait tant, pour un plaisir qui ne satisfaisait que sa vanité. Et le soulagement d’être débarrassé de sa grande dame, de cette marquise à gros os qui – le blason à part – ne parlait guère plus à ses sens que « l’ancienne à tous » du café Malmus, de n’avoir plus de lettres à écrire, de rendez-vous à fixer, l’évanouissement de toute cette friperie sentimentale et tarabiscotée qui allait si peu à son sans-gêne, l’épanouissait presque autant que la clémence de sa femme, la paix intérieure reconquise.

Heureux, il le fut comme auparavant. Il n’y eut rien de changé aux apparences de leur vie. Toujours la table mise et le même train de fêtes et de réceptions où Roumestan chantait, déclamait, faisait la roue sans se douter que, près de lui, deux beaux yeux veillaient, large ouverts, éclaircis sous de vraies larmes. Elle le voyait maintenant son grand homme, tout en gestes, en paroles, bon et généreux par élans, mais d’une bonté courte, faite de caprice, d’ostentation et d’un coquet désir de plaire. Elle sentait le peu de fond de cette nature hésitante dans ses convictions comme dans ses haines ; par-