Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/65

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dédaignait de soutenir par des complications ou des finesses, – gardaient un abandon qui le livrait tout de suite. Entrant un matin dans son cabinet, elle le surprit très absorbé dans la composition d’une lettre, pencha sa tête au niveau de la sienne :

« À qui écris-tu ? »

Il bégaya, essaya de trouver quelque chose, et, pénétré par ce regard obsédant comme une conscience, il eut un élan de franchise forcée… C’était en style maigre et emphatique, ce style de barreau qui gesticule avec de grandes manches, une lettre à l’Empereur, par laquelle il acceptait le poste de Conseiller d’État. Cela commençait ainsi : Vendéen du Midi, grandi dans la foi monarchique et le culte respectueux du passé, je ne crois pas forfaire à l’honneur ni à ma conscience…

— Tu n’enverras pas ça !… dit-elle vivement.

Il commença par s’emporter, parler de haut, brutal, en vrai bourgeois d’Aps discutant dans son ménage. De quoi se mêlait-elle, à la fin des fins ? Qu’est-ce qu’elle y entendait ? Est-ce qu’il la tourmentait, lui, sur la forme de ses chapeaux ou ses patrons de robes nouvelles ? Il tonnait, comme à l’audience, devant la tranquillité muette, presque méprisante, de Rosalie, qui laissait passer toutes ces violences, débris d’une volonté détruite d’avance, à sa merci. C’est la défaite des exubérants, ces crises qui les fatiguent et les désarment.

— Tu n’enverras pas cette lettre, reprit-elle… Ce serait mentir à ta vie, à tes engagements…

— Des engagements ?… Et envers qui ?