Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/70

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« Té ! vé !… Il a pétri le fer, notre Numa ! »

Ils vous disent cela, les yeux hors de la tête, avec un roulement d’r – pétrrri le ferrr – qui ne permet pas l’ombre d’un doute.

La race est fière en terre d’Aps, et bonne enfant ; mais d’une vivacité d’impressions, d’une intempérance de langue dont la tante Portal, vrai type de la bourgeoisie locale, peut donner et résumer l’idée. Énorme, apoplectique, tout le sang afflué aux joues tombantes, lie de vin, en contraste avec une peau d’ancienne blonde, ce qu’on voit du cou très blanc, du front où de belles coques soignées, d’un argent mat, sortent d’un bonnet à rubans mauves, le corsage agrafé de travers, mais imposant tout de même, l’air majestueux, le sourire agréable, ainsi vous apparaît d’abord madame Portal dans le demi-jour de son salon toujours hermétiquement clos selon la mode du Midi ; vous diriez un portrait de famille, une vieille marquise de Mirabeau bien à sa place dans cet ancien logis bâti il y a cent ans par Gonzague Portal, conseiller maître au parlement d’Aix. On trouve encore en Provence de ces physionomies de maisons et de gens d’autrefois, comme si par ces hautes portes à trumeaux le siècle dernier venait de sortir laissant pris dans l’entre-bâillure un pan de sa robe à falbalas.

Mais en causant avec la tante, si vous avez le malheur de prétendre que les protestants valent les catholiques, ou qu’Henri V n’est pas près de monter sur le trône, le vieux portrait s’élance violemment de son cadre, et les veines du cou gonflées,