Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/85

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fer alors. On prenait la diligence jusqu’à Montélimar, puis le Rhône… Dieu ! que j’étais content et que votre grand Paris m’épouvantait… C’était le soir, je me rappelle…

Il parlait vite, sans ordre, les souvenirs se pressant à mesure.

— … Le soir, dix heures, en novembre… Une lune si claire… Le conducteur s’appelait Fouque, un personnage ! … Pendant qu’il attelait, nous nous promenions de long en large avec Bompard… Bompard, vous savez bien… Nous étions déjà grands amis. Il était, du moins s’imaginait être élève en pharmacie, et comptait venir me rejoindre… Nous faisions des projets, des rêves de vie ensemble, à s’aider pour arriver plus tôt… En attendant, il m’encourageait, me donnait des conseils, étant plus âgé… Toute ma peur, c’était d’être ridicule… Tante Portal m’avait fait faire pour la route un grand manteau, ce qu’on appelait un raglan… J’en doutais un peu de mon raglan de tante Portal… Alors Bompard me faisait marcher devant lui… Té ! je vois encore mon ombre à côté de moi… Et, gravement, avec cet air qu’il a, il me disait : « Tu peux aller, mon bon, tu n’es pas ridicule… » Ah ! jeunesse, jeunesse…

Hortense, qui maintenant craignait de ne plus sortir de cette ville où le grand homme trouvait sous chaque pierre un retard éloquent, le poussait doucement vers la berline :

— Si nous montions, Numa… Nous causerions aussi bien en route…