Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

donnant l’illusion d’un ruisseau frais au bord de la route. Quand il se taisait une minute, comme à court de souffle, on sentait le poids de l’été, une chaleur africaine montant du sol, que dissipait bien vite la saine et vivifiante bourrasque étendant son allégresse au plus loin de l’horizon, vers ces petites collines grisâtres, ternes, au fond de tout paysage provençal, mais que le couchant irise de teintes féeriques.

On ne rencontrait pas grand monde. De loin en loin un fardier venant des carrières avec un chargement d’énormes pierres taillées aveuglantes sous le soleil, une vieille paysanne de la Ville-des-Baux courbée sous un grand couffin d’herbes aromatiques, la cagoule d’un moine mendiant, besace au dos, rosaire aux cuisses, le crâne dur, suant et luisant comme un galet de Durance, ou bien un retour de pèlerinage, une charretée de femmes et de filles en toilette, beaux yeux noirs, chignons hardis, rubans flottants et clairs, arrivant de la Sainte-Baume ou de Notre-Dame-de-Lumière. Eh bien, le mistral donnait à tout cela, au dur labeur, aux misères, aux superstitions de pays le même entrain de santé, de belle humeur, ramassant et secouant dans ses passes les « dia ! hue ! » des charretiers, les grelots, les anneaux de verre bleu de ses bêtes, la psalmodie du moine, les cantiques aigus des pèlerines, et le refrain populaire que Roumestan, mis en verve par l’air natal, entonnait à toute gorge avec de grands gestes lyriques débordant par les deux portières :

Beau soleil de la Provence,
Gai compère du mistral…