Page:Daudet - Port-Tarascon, 1890.djvu/198

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Heureusement pour eux que le directeur de la santé Tournatoire ne croyait pas à la pharmacopée, et au lieu de droguer, de poutringuer ses malades comme Bézuquet, leur ordonnait « une bonne petite soupe à l’ail ».

Et pas à dire : « mon bel ami ! » jamais il ne manquait son coup. Vous aviez des gens tout gonflés, sans voix ni souffle, qui demandaient déjà le prêtre et le notaire. Arrivait la petite soupe à l’ail, trois gousses dans un petit pot, trois cuillerées de bonne huile d’olive avec une rôtie dessus, et ces gens qui ne pouvaient plus parler commençaient par dire :

« Outre !, ça sent bon… »

Rien que l’odeur les revenait tout de suite.

Ils prenaient une assiette, deux assiettes, et à la troisième les voilà debout, désenflés, la voix naturelle, puis le soir au salon faisant leur partie de whist. Disons aussi que c’étaient tous des Tarasconnais.

Une seule malade, et malade de marque, la très haute dame des Espazettes née de l’Escudelle de Lambesc, avait refusé le remède de Tournatoire. Bon pour la rafataille, la soupe à l’ail, mais quand on descend des croisades !… Elle ne voulait pas plus en