Page:Daudet - Port-Tarascon, 1890.djvu/221

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Ces chants, les gâteaux, le grand feu autour duquel on faisait cercle, tout cela nous rappelait le pays, malgré le bruit d’eau qu’on entendait sur le toit et les parapluies ouverts dans le salon à cause des fissures.

À un moment, le Père Bataillet a entonné sur l’harmonium la belle chanson de Frédéric Mistral, Jean de Tarascon pris par les corsaires, l’histoire d’un Tarasconnais tombé aux mains des Turcs, prenant le turban sans vergogne et tout près d’épouser la fille du pacha quand il entend sur le rivage chanter en provençal les matelots d’une barque tarasconnaise. Alors,

Comme l’eau jaillit sous un coup de rame — un grand flot de larmes — crève son cœur dur ; — le despatrié pense à la patrie, — et se désespère — d’être avec les Turcs.

À ce vers comme l’eau jaillit sous un coup de rame, un sanglot nous a tous secoués. Le Gouverneur lui-même buvait ses larmes, la tête renversée, et on voyait le grand cordon de l’Ordre qui se soulevait sur sa poitrine d’athlète.

Voilà qui va changer peut-être bien des choses, rien que cette chanson du grand Mistral.