Page:Daudet - Port-Tarascon, 1890.djvu/311

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ses juges. Ils en suaient à pleins seaux, les malheureux, n’ayant jamais ouï débats pareils, dépositions aussi extravagantes. Ce n’était sur ce banc des témoins que démentis farouches, brusques interruptions ; des gens qui bondissaient, s’arrachaient les mots de la bouche, à croire que la bouche allait venir avec ; et des grincements de dents, et des rires démoniaques ! Un procès fantastique, tragi-comique, où il n’était question que de Tarasconnais mangés, noyés, cuits, rôtis, bouillis, dévorés, tatoués, hachés en petits morceaux, se retrouvant là tous sur le même banc, bien portants, leurs membres au complet, sans une dent de moins, pas même une éraflure.

Les deux ou trois qui manquaient encore à l’appel, on les attendait d’une minute à l’autre, ils devaient avoir eu la même veine que leurs compagnons, et c’est pour cela que le juge d’instruction Bonaric, plus au fait des mœurs de ses compatriotes, avait engagé le président à laisser de côté la question d’homicide par imprudence.

Cependant le défilé des témoins continuait, de plus en plus bruyant et cocasse.

Dans la salle, le public prenait parti, con-