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ROSE ET NINETTE

ces imbéciles ! Mais ça prend trop de temps, la haine… J’ai donné toute ma vie au travail, et c’est une grâce, vois-tu. Je suis si seul ; je n’ai même plus ce voisinage qui, jusqu’ici, m’épargnait le navrement de la maison vide. Mme Hulin est partie, enlevant son enfant, sans doute pour échapper aux effets de l’inique loi qui le réclamait, qui voulait le rendre au père. Ce conseiller de Malville est pourtant un honnête homme. Comment l’idée a-t-elle pu lui venir, à lui et à ses assesseurs, lorsqu’ils ont prononcé le jugement de séparation, d’y joindre cette clause épouvantable qu’à l’âge de dix ans et jusqu’à la fin de ses études l’enfant serait sous la direction paternelle. Quelle perspective pour la pauvre femme ! penser qu’on pouvait mettre son petit infirme pensionnaire dans quelque lycée lointain, choisir des institutions spéciales, très rigides, à l’abri de la surveillance et des gâteries de la mère… Qui sait même si on ne lui découvrirait pas des instincts de méchanceté et de révolte nécessitant son internement à Mettray, dans ce bagne qu’on appelle la maison de famille, ou encore son entrée à l’école des mousses, et alors le départ, l’exil… Pauvre Mme Hulin, comme je comprends qu’elle l’ait emporté, son enfant, qu’elle l’ait terré dans quelque trou !

« En attendant, me voilà privé d’une délicate amitié de femme, qui me devenait chaque