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Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/138

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ROSE ET NINETTE

celet et, rageuse, mâchonnait : « Cinq heures… cinq heures dix… cinq heures vingt… » se demandant combien elle allait encore attendre, quand Fagan se montra au bout de l’avenue, du pas lent et vacillant des premières sorties.

Comme il refusait obstinément de voir ses filles depuis l’éclat de leur visite, son ex-épouse avait obtenu de lui ce rendez-vous pour régler certains détails du mariage de Rose ; et Pauline Hulin, toujours bonne et raisonnable, cherchant à le rapprocher de ses enfants, s’était décidée à l’accompagner jusqu’au Luxembourg, où Maurice et elle l’attendaient.

Du plus loin que Mme La Posterolle l’aperçut, maigri et pâle, sa fine moustache blonde presque toute blanchie, elle accourut au-devant de lui, soulignant d’un petit rire la cruauté de sa pensée : « Vanné, mon ancien mari, » et tout de même l’abordant avec des mines d’intérêt, ses chatteries doucereuses et frôleuses. Lui, songeant à ses abominables trahisons, jusqu’à la dernière, la plus cruelle, la brisure avec ses filles, il se sentait du mépris, de la colère, et aussi — parce qu’il était faible — de la crainte, comme en face du mauvais génie de son existence, quelque maléficieux kobold, niché dans le fond de cette sombre allée d’arbres.

« Bien cela, d’être venu… » commença-t-elle, marchant près de lui, son pas mesuré sur le sien.